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04/09/2002 INCENDIES DE FORET - points de vue
Mardi 3 septembre 2002
(LE MONDE)

Sans les incendies, le pin rouge phénix des forêts américaines et les espèces qui lui sont associées seraient menacés d'extinction.

Depuis le début de l'année, plus de 1,7 million d'hectares de forêt ont été ravagés par le feu aux Etats-Unis, affirme l'Agence centrale américaine des incendies. Un territoire grand comme deux fois la Corse est ainsi parti en fumée ! Les Etats du Colorado et de l'Arizona sont particulièrement touchés. Pourtant, le feu est un élément essentiel pour l'écosystème forestier nord-américain, a expliqué Robert Scheller, spécialiste des écosystèmes forestiers à l'université du Wisconsin, lors du 85e congrès de la Société américaine d'écologie qui vient de se tenir à Tucson (Arizona).

Selon lui, le feu constitue un facteur indispensable à la survie des peuplements de pins rouges, l'une des essences majeures des forêts américaines. "Les pins rouges sont, à terme, menacés d'extinction si aucun feu ne vient troubler la quiétude des bois américains. Les grands feux qui ont eu lieu dans des vastes zones sauvages vont permettre une régénération de ces espèces", affirme Robert Scheller. Cette conclusion s'appuie sur le résultat d'une simulation numérique. En tenant compte de l'âge des espèces de pins étudiées, de la nature du sol et du climat, Robert Scheller et son équipe ont utilisé un modèle informatique (Landis) qui prévoit l'évolution de ces forêts selon différents scénarios.

Après avoir introduit les différents paramètres, il apparaît qu'un incendie survenant après une période calme de cinquante ans aurait pour effet d'accroître le nombre de pins rouges. En revanche, si aucun feu ne se produit durant trois cents ans, le modèle montre non seulement la disparition de cette essence, mais aussi, à terme, celle d'autres espèces de pins ainsi que des hêtres, des bouleaux ou des trembles. "Les pins rouges disparaîtraient définitivement en tant qu'espèce dominante de nos sous-bois, ce qui modifierait durablement l'écosystème des forêts du Nord-Ouest américain. On peut comparer le rôle du feu à celui d'un jardinier qui défriche les mauvaises herbes afin d'offrir de la lumière et un terrain accueillant aux plantes cultivées", assure le chercheur. Une telle simulation, si elle n'intègre pas t! ous les paramètres, reflète néanmoins une réalité inquiétante...

Les résultats obtenus ne surprennent pas Michel Vennetier, spécialiste d'écologie forestière au centre d'Aix-en-Provence du Cemagref (Institut de recherche pour l'ingénierie de l'agriculture et de l'environnement). "Les incendies font depuis toujours partie intégrante du cycle naturel de l'écosystème forestier, explique-t-il. La régénération de certaines essences dépend des régimes naturels des feux. Après un feu de forêt, toutes les conditions sont présentes pour que les pins se régénèrent : la forêt est aérée, la végétation concurrente disparaît, les pousses bénéficient de plus de soleil. Ensuite, les pins reconstituent un couvert forestier et les espèces nécessitant davantage d'ombre se placent sous ce couvert."

DES ESPÈCES PIONNIÈRES

Ces conclusions sont d'autant plus importantes que les pins constituent des espèces pionnières, les premières à coloniser un milieu souvent peu attractif pour les autres végétaux. Ils contribuent à fertiliser le sol et créent, grâce à leur couvert, des zones plus ombragées nécessaires au développement de certaines espèces, telles que les arbres à écorces tendres. Sans feu, ces écosystèmes forestiers seraient bouleversés, et leur équilibre menacé à terme. Du même coup, le mode actuel d'entretien et d'aménagement des forêts américaines se trouve remis en question. "La lutte systématique contre le feu mise en place depuis le début du siècle pour protéger la beauté des forêts n'est peut-être pas parfaitement adaptée aux essences d'arbres qui la composent", estime Robert Scheller.

Au Canada, l'approche de ces problèmes est tout autre. L'utilisation du feu est une des techniques d'aménagement du milieu forestier. Une technique d'autant plus complexe à utiliser que les étendues sont très vastes. Il n'est pas rare que les forestiers enfilent un équipement de protection, chargent leurs lance-flammes et brûlent quelques parcelles. "Quand la forêt est trop vaste, ils organisent des feux contrôlés, décrit Michel Vennetier. Cette méthode favorise le retour des espèces pionnières, vite suivi de la réapparition d'essences à écorce tendre (bouleau, hêtre, tremble) qui constituent une importante source de nourriture pour beaucoup d'animaux." Ce procédé permet aussi d'assainir la forêt, tout en dégageant des pare-feu efficaces.

Cette solution reste toutefois inenvisageable en France, où la taille plus réduite des forêts ne permet pas l'utilisation de telles techniques. "Les superficies concernées sont très différentes de celles des forêts américaines et canadiennes, rappelle l'adjudant-chef Daniel Freze, du groupement d'intervention des pompiers des Bouches-du-Rhône. L'utilisation préventive du feu reste extrêmement rare, car les zones forestières françaises sont très proches des aires périurbaines, donc extrêmement sensibles, même en cas de feu contrôlé." Parfaitement maîtrisé, l'incendie pourrait donc devenir un instrument précieux pour la gestion des forêts de grande envergure. Malheureusement, le recours aux incendies reste extrêmement difficile à exploiter en toute sécurité. En effet, les modes de propagation du feu dans une! forêt sont encore loin d'être parfaitement connus.

Guillaume Jousset


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Une modélisation difficile


Simuler un incendie de forêt n'est pas une mince affaire, tant les paramètres en jeu sont nombreux : densité de la végétation, diversité des essences, vitesse des vents... "Les modèles de propagation d'un feu ne sont pas encore au point, constate Michel Vennetier, chercheur au Cemagref. La forêt est par nature hétérogène et complexe. Les modèles sont établis sur des systèmes très simplifiés, faute d'ordinateurs suffisamment puissants." Pourtant, depuis plusieurs années, les pompiers français utilisent avec succès de tels logiciels. "Nous rentrons, disent-ils, les paramètres du terrain dans l'ordinateur, ce qui nous permet de nous faire une idée de l'évolution de l'incendie. Le système a d'ailleurs été perfectionné pour qu'il intègre en temps réel l'effet des intervention! s de nos équipes", précise le lieutenant-colonel Marc Mossé, chef du groupement d'intervention des Bouches-du-Rhône. "Toutefois, des progrès restent à faire. En utilisant des données plus précises sur la végétation et en tenant mieux compte de la circulation des vents en fonction des reliefs."

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